Maria’s Lovers ou Maria’s Lover ?

Avec Maria’s Lovers (les amants, les amoureux de Maria) de Konchalovsky, le titre du film est d’autant plus intéressant qu’il guide vers une piste peu intéressante. Niaisement, l’on peut se dire, en adoptant une morale bien à la mode dans un monde gouverné jusque dans les milieux conservateurs par le dogme desdites expériences sexuelles, que mieux vaut qu’une fille n’arrive pas vierge au mariage. Alors est-ce vrai ? faut-il faire comme les Yakut dont les frères ont le devoir de déflorer leurs sœurs avant les noces de celles-ci ? L’on peut en douter.

Un autre lecture, bien dans la doxa incestophobe occidentale qui fit interdire par l’Église les mariages jusqu’au 5e degré de parenté, qui faisait voir à Proudhon de l’inceste entre Paul et Virginie, qui jouit en preuve (qui n’en est une de rien) qu’il n’y ait eu que très peu d’unions entre les enfants élevés ensemble dans les mêmes kibboutz, Maria et son promis ne pourraient pas faire couple car ils ont trop grandi côte à côte. Cette impossibilité est de l’ordre du fantasme. C’est encore un fantasme de s’imaginer que Maria met trop la pression sur son époux quand elle lui enjoint dès l’étreinte avortée des noces de lui faire un enfant. Le but sain de tout mariage est de procréer des enfants et fonder une famille, Maria ne fait ici que rappeler l’impératif catégorique qui est dans la tête de tout époux mis dans les conditions du nouvel époux de Maria, ce qu’énonce Maria aurait tout aussi bien pu être décliné en voie intérieure dans la tête de l’époux dans une œuvre littéraire, ce que l’exposition scénique au cinéma ne permet pas (ou rend lourd dans des films qui y recourent beaucoup trop).

Non, il faut être plus intelligent et rejeter toute lecture morale qui ferait en soi de l’hymen un trésor ou une avanie, de même qu’il ne faut pas marcher dans l’incestophobie qui fait qualifier d’incestueux le rapport pédophile entre un homme politique du PS et le fils de sa femme et d’un autre homme alors que le pédéraste n’a bien évidemment aucun lien de consanguinité avec son éromène qui fasse de cette relation un inceste, de même qu’il n’est pas censé de croire que dans une société moderne non dysfonctionnelle l’on se marie pour une autre raison que faire des enfants.

Maria’s Lovers est un titre d’autant plus intéressant qu’il semble emmener sur ces fausses pistes le spectateur endoctriné aux idées courtes. L’on peut lire ce film tout autrement en corrigeant le titre en Maria’s Lover, l’homme qui aime Maria, l’homme qu’aime Maria. Lire le scénario de ce film comme celui d’un seul homme amoureux pour Maria, un homme qui a plusieurs visages. Le visage central est celui de celui qui va devenir l’époux de Maria (incarné par John Savage). Mais c’est aussi un peu le visage du père de ce futur époux (Robert Mitchum), père qui est loin d’être insensible au charme de sa future bru (Nastassja Kinski), elle-même troublée par ce père encore bel homme. C’est aussi le visage du jeune homme avec lequel Maria a flirté pendant que son futur époux était sous les drapeaux. Et puis c’est le visage de celui qui prend la virginité de Maria (Keith Karradine) qu’accessoirement il engrosse.

Les deux principaux visages de l’amoureux de Maria sont le premier, celui de son époux, et le dernier, celui qui consomme le mariage. Le premier se révèle incapable d’aimer charnellement son épouse. Le film insiste habillement sur le fait qu’il ne s’agit pas du tout d’une impuissance sexuelle de l’époux mais d’un blocage vis-à-vis de son épouse. En somme, l’époux a construit un amour si épuré pour son épouse que cela l’empêche de l’aimer physiquement. L’acte charnel n’est pas la résolution de l’amour sentimental, il en est la profanation. L’homme vraiment intensément et sincèrement amoureux de son amoureuse ne peut souiller son corps jusqu’à pratiquer le coït avec elle. Pour que cela puisse se faire, il faut qu’intervienne l’homme insouciant, le bohème chanteur vagabond qui ne prend rien au sérieux. Une fois la chose faite, une fois que le bohème a dépucelé son épouse, l’époux ne peut que casser la figure à ce bohème qui n’est qu’un autre visage de lui-même, lui qui a dégradé le temple sacré qu’il chérit, son aimée, aimée qui a désormais été suffisamment avilie pour qu’il puisse à son tour s’accoupler avec elle.

C’est un des problèmes majeurs de la société occidentale centrée sur le love que met le scénario de Konchalovsky en avant dans ce film. Cela a été remarqué par maints auteurs (Barthes a en a exposé la caricature). Il y a solution de continuité entre l’amour sentimental romantique et sa consommation sexuelle. En réalité, les deux sont à peu près incompatibles. Il n’est guère possible de combiner dans le même temps amour purement ataraxique et amour charnel. Les deux ne peuvent se dérouler qu’alternativement, le sentiment doit s’effacer pour que le sexe puisse prospérer. Quitte à ce que ce soit deux visages différents des Maria’s lovers qui aiment la jeune femme à tour de rôle.

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Fantasme et prostate

Le manque d’éjaculations pourrait être à l’origine de cancers de la prostate. Ces éjaculations ne pourraient être artificielles, causées par une masturbation. Tout cela paraît simple : la bête humaine réclame de réels rapports sexuels.

Cependant, quelle est la différence entre un rapport sexuel partagé avec un (voire plusieurs) être humain et une masturbation ? Y a-t-il physiquement dans le conduit vaginal, dans le conduit anal, voire dans une bouche fellatrice, une forme aspirante qui vide mieux les testicules qu’une bonne main bien serrée ? Un vieux vagin détendu et mollasson est-il plus apte à jouer son rôle aspirant qu’une bonne et jeune poignée bien assurée ?

Ou bien y a-t-il quelque molécule biochimique qui se transmet par le contact des peaux des partenaires alors qu’il est évidemment absent dans l’onanisme ? Existe-t-il quelque phéromone qui lui manque quand il se masturbe que reçoit l’homme mâle de son partenaire lors du rapport sexuel ? Quel autre processus physiologique peut-on imaginer qui fasse qu’un rapport sexuel ait des vertus que n’aurait pas un exercice solitaire de la sexualité ?

Ces hypothèses peinent à convaincre. Aucune de ces solutions n’est réaliste. L’on a du mal à imaginer que dans le processus mécanique du coït, de telles différences inconnues de la science et forcément de peu de portée (sinon elles auraient déjà été identifiées) puissent avoir de telles conséquences.

L’évidence qui s’impose quant à la différence entre un rapport et une masturbation est que c’est ce qui se passe dans la tête, pas dans le corps, qui est tout à fait autre. Ce serait donc le fantasme en quelque sorte, l’interprétation intellectuelle du rapport amoureux, la lecture qu’en fait la psyché qui déterminerait la valeur de ce rapport. La qualité physique du rapport ne serait pas en cause, ce serait les impressions ressenties subjectivement par le sujet qui le seraient.

Dès lors, il faut que, dans le fantasme masturbatoire, il y ait la conscience d’un manque pour que la masturbation ne rende pas le même service physique que le rapport sexuel réel. Tout est dès lors dans la tête et exclusivement dans la tête, pas dans le corps même si ce qui est dans la tête finit par se traduire par une éjaculation incomplète par masturbation susceptible de laisser se développer dans la chair un cancer de la prostate. Ce qui apparaît, c’est que le cerveau est à l’origine, pas le corps, et ce cerveau est si vicieux que non seulement c’est lui qui décide en fin de compte si un acte sexuel est ou non satisfaisant, mais il se refuse à se contenter de lui-même dans le fantasme masturbatoire et exige un corps étranger pour décider de la quantité de satisfaction que mérite un acte.

L’on en arrive à un point fondamental, la masturbation elle-même. La masturbation n’est pas la caresse des organes génitaux. Du moins elle n’est pas que cela, elle demande autre chose, elle exige une activité intellectuelle fantasmatique. En l’absence de fantasme conscient, la masturbation est incapable de conduire à l’orgasme. La masturbation n’est pas un seul processus mécanique, elle doit s’accompagner de l’imagination d’un partenariat amoureux. Or ce n’est pas le fantasme qui est gênant alors qu’il ne le serait pas dans le rapport réel. Le rapport sexuel a lui aussi besoin d’un fantasme conscient qui accompagne la personne qui copule. L’activité fantasmatique du cerveau est commune à la masturbation et au rapport sexuel. L’activité mécanique est elle aussi commune aux deux actes sexuels. La différence entre l’acte sexuel au cours d’une masturbation et au cours d’un rapport sexuel n’est ni fantasmatique ni mécanique, elle est dans le jugement que porte le cerveau sur la valeur de l’acte. C’est le fait que le cerveau juge bon ou non l’acte sexuel qui fait que le rapport réel est meilleur que l’acte fantasmé quand ils sont l’un et l’autre parvenus à l’éjaculation. Tout est dans le fantasme. Le fantasme est de copuler entre amants. Il fonctionne de la même manière dans la masturbation et au cours du vrai rapport sexuel. Mais la satisfaction est supérieure quand l’acte est réel car le cerveau en a décidé ainsi. Il s’agit ici exclusivement d’un processus cognitif, quasi conscient dans la mesure où celui qui a éjaculé ressent ou non, non seulement le plaisir proprement sexuel conséquent à l’orgasme mais aussi le plaisir intellectuel d’être parvenu ou non à concrétiser le fantasme.

Le plaisir sexuel est, dans sa partie qui détermine la satisfaction qu’il donne, évalué par le cerveau. Or cette évaluation est susceptible d’avoir des conséquences en termes de santé. La masturbation satisfait moins le cerveau car elle est un échec de la réalisation physique du fantasme. De même, par rapport à l’évaluation de l’objet du fantasme que l’amant a en tête, l’évaluation de la qualité du partenaire avec lequel il fornique joue sur la satisfaction ressentie suite à l’acte. Il n’y a ici rien de mécanique, tout est intellectuel. C’est le cerveau qui juge les actes sexuels et ce jugement plus ou moins conscient a une influence directe sur la satisfaction physique que donne le rapport. Pour un jeune homme dit « hétérosexuel » lambda de la société postmoderne dont il est aisé d’imaginer quel est l’idéal féminin (fille encore jeune dans les 25 ans, poitrine qui se tient, traits réguliers et poupins, lèvres charnues, souriante, taille moyenne, mince, avec de bonnes fesses, le pubis au moins partiellement rasé, etc.), cet idéal étant excessivement variable d’une époque à l’autre et d’un individu à l’autre, la satisfaction qu’il tirera d’un rapport sexuel dépendra en grande partie de la concomitance du physique (voire de la personnalité pour ceux qui poussent plus loin la perversité) de la personne avec laquelle il aura le rapport avec le physique du partenaire fantasmé. La masturbation est au plus bas en termes de satisfaction puisqu’il n’y a même pas de partenaire. Mais le coït avec une femme grosse et cougar pour qui fantasme les frêles jeunettes est aussi assez décevant. Le rapport avec un Brésilien opéré est tout aussi peu gratifiant. En revanche, chez l’homme dit « homosexuel » dont le fantasme est un partenaire de son sexe, c’est le rapport avec une femme qui déçoit. Chacun sa chimère ! Mais cette chimère n’est pas sans importance, elle a des conséquences en termes de satisfaction intellectuelle, ce qui se traduit par des conséquences physiques jusqu’à être susceptibles de jouer sur la santé du fantasmeur.

C’est le fantasme conscient qui est déterminant dans la valeur d’un rapport sexuel.

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À l’ouest d’Alger…

Bonnes et mauvaises surprises à la lecture de À l’ouest d’Alger signé Aldo Sterone.

Les mauvaises surprises, ce sont quelques fautes d’orthographe, syntaxe ou grammaire. Or il n’y a pas eu d’éditeur pour corriger ces horreurs. Ce sont aussi quelques instants où l’auteur perd son lecteur ; mais cela, c’est le cas dans à peu près tous les livres, ceux de Tolstoï inclus. Plus ennuyeux, il y a souvent un style assez « littérature contemporaine » avec ces phrases dont nous assomme qu’elles ne sachent commencer que par un sujet, un petit côté camusien en quelque sorte, ce qui fait que le style d’Albert Camus, aussi sympathique puissent être le personnage et sa pensée, est absolument insupportable. Serait-ce là une fraternité algérienne entre nos deux auteurs ? Non. C’est l’air du temps qui dicte ces phrases fades, Houellebecq n’y échappe pas.

Il y a surtout une bonne surprise générale dans ces pages. Le tableau que nous dresse le célèbre blogueur algéro-franco-anglais de son pays natal est attachant ; son non-manichéisme – à l’opposé, en ces temps troubles, tant des droitards de l’Europe blanche que des vivre-ensemblistes de gaugauche – nous laisse à voir une Algérie d’après l’Indépendance, d’avant les massacres de la décennie rouge, une Algérie des années 1970-80 dans laquelle, à l’image de ces équivalents d’outre mer de nos H.L.M., tant par la fatalité du destin qu’à cause d’un certain laisser-aller bien humain, on décline de ces vitrines du modernisme socialiste de la Révolution nationale à un cloaque débordant de matières fécales.

On saluera tout particulièrement une construction narrative originale et très réussie qui scinde une histoire principale – une « histoire d’amour » – en l’entourant de portraits d’humains ni méprisables ni parfaits (donc pas de ceux qui traînent en caricatures littéraires dans les pages du quotidien officiel de l’État français, Libération). On est loin ici des crétineries du « un musulman ne boit pas d’alcool » ou « une musulmane est très pudique », fables qu’aiment à se raconter, copains comme cochons, islamophobes racistes comme islamistes radicaux. On est ici en présence de gens qui font vrai, de personnes de chair qui se débattent dans une société et une culture qui sont ce qu’elles sont.

Ce livre sera donc une vraie déception pour tous les apôtres de l’idéalisation de l’Autre comme pour tous ceux du Choc des civilisations. Tout au contraire, on reconnaît dans le roman très autobiographique d’Aldo Sterone des bâtons de vie hominidés qui, plus ou moins bien-plus ou moins mal, comme tout un chacun, font ce qu’ils peuvent.

Un bon moment de lecture.

Aldo Sterone, À l’ouest d’Alger, CreateSpace Independent Publishing, 2015.

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Le Bruit de la douche

COUV DESGOUILLES APLAT 15 AVR SS OMBRE_Mise en page 1J’ai toujours dit que Dominique Strauss-Kahn ne serait jamais président de la République, nom d’une pipe. Et je le disais depuis bien avant ses aventures égrillardes en Sofitel new-yorkais. Mais j’ai eu bien du plaisir à lire dans Le Bruit de la douche qu’il n’en était rien, que DSK fut élu à l’Élysée en 2012, laissant son ami François s’empiffrer de gastronomies corréziennes.

Imaginer que le chef du FMI de 2006 aurait pu l’emporter me semblait à peu près aussi fou que de voir Juppé y réussir en 2017. On dira que Strauss-Kahn était le chouchou de tous les sondages… Certes ! de même qu’Alain Juppé est le candidat de droite préféré… chez les gens de gauche, DSK était le candidat de gauche préféré… chez les gens de droite. En 2012, il aurait suffi que ces gens de droite votent pour pour le candidat de la gauche pour qu’il gagne. Or il m’a toujours semblé que ceux-là donneraient plutôt leurs suffrages à quelqu’un de leur camp plutôt qu’au champion de l’adversaire. Et ça devrait être pareil en sens inverse pour Juppé dans deux ans. Pour que DSK ait pu vaincre, il aurait fallu que la droite ne présentât personne face à lui ; pourquoi n’y ai-je jamais cru ?

Se prenant pour un anti-crooner hispanique, « J’ai changé », chanta en 2007 son prédécesseur au Château. Or si ce dernier ne disait pas vrai, le Strauss-Kahn président de David Desgouilles a quant à lui bien changé ! Avec le programme qu’on le voit défendre dans ce roman d’uchronie politique, le DSK nouveau eut pu être intronisé, reconnaissons-le.

Non seulement il ne saute pas sur la première beauté africaine entrée dans sa suite, mais il ne tente rien avec la jeune et jolie Anne-Sophie, fille aussi fine intellectuellement que paumée dans sa vie sentimentale comme toute Occidentale qui (ne) se respecte (pas). Le Dominique ne nique même plus ! il n’a même pas droit à un cinq-à-sept au Carlton ! il a dû avaler un tonneau de bromure ! La romance amoureuse n’est pas le fort de ce livre (on préférera Houellebecq sur ce point) où l’on goûte bien davantage l’introspection sous les arcanes du monde politique que connaît bien l’auteur.eric-zemmour Par contre, si l’amour fait sourire ici (comme dans quasi tous les romans contemporains), on appréciera un Éric Zemmour plus vrai que nature en personnage secondaire, et même si les zélateurs de l’auteur du Suicide français découvriront que David Desgouilles n’est pas du tout un zemmouriste ardent.

DSK est reconnu comme un économiste de talent et c’est ce DSK-là qui est le héros ici. Or je ne crois pas du tout que ce tombeur de femmes de ménage et de prostituées ait l’intelligence économique – voire politique – qu’on lui prête si souvent. On ne l’a, sur des sujets sérieux, jamais entendu raconter que des choses extrêmement convenues dans le sérail des économistes de l’école néoclassique ; dans cette école même, il s’est toujours montré d’un conservatisme coincé par rapport à des Stiglitz ou Krugman.

le-bruit-de-la-doucheMais c’est le propre du genre romanesque que de croire aux personnages du romancier ; or, à notre heureuse surprise, ça fonctionne parfaitement dans ce Bruit de la douche. Et l’on s’amuse bien avec ce DSK à la sauce Montebourg qui parvient à abandonner les dogmes idiots auxquels il est attaché comme un morpion à son poil – euro, anti-protectionnisme, etc. – pour sortir la France du gouffre où l’a plongé Sarko et où Hollande-Valls-Macron persévère avec passion à l’enfoncer. On notera une belle leçon de stratégie politique que le passage d’un mariage gay raisonnable (sans adoption) dans la concertation sous le ministère de Ségolène Royal (mais le président du mariage-pour-tous-sauf-pour-moi voulait donner des gages de soumission à Washington pour imposer à notre pays l’union consumériste à l’américaine !).

Quoi qu’il en soit, une lecture bien agréable pour tous ceux que la faune politicienne intéresse.

David Desgouilles, Le Bruit de la douche, Paris, Éd. Michalon, 2015.

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Michel Houellebecq : Soumission

Le dernier de la maison Houellebecq est le meilleur de ceux que j’ai lus. Malgré la faiblesse du style – en particulier la médiocre musicalité des phrases dont on se dit souvent que d’autres agencements sonneraient mieux –, le ronron académique des mélopées molles façon Goncourt-des-sixties (Duras, Malraux, Camus…) de certains de ces précédents opus est enfin mis de côté et laisse enfin se développer le texte sans buter sur de précipités points finaux. On respire. Même s’il y a encore d’inopportunes virgules qui viennent faire des crocs-en-iambes au lecteur, est-ce Huysmans qui passa par là ?, saluons comme il se doit la redécouverte du point-virgule salvateur ! « Il y avait des détails de ponctuation à revoir » écrit lucide l’auteur…

Merveille pour nous séduire, on ne lit pas certaines de ces pages sans sourire parfois : oui, il y a de l’humour ! pas  de celui à se rouler par terre, mais un peu d’ironie, un peu de ce sel sans lequel on se demande si quelque plat littéraire que ce soit peut être considéré comme comestible… Mais c’est là en cohérence, semble-t-il, avec l’évolution de la pensée de l’auteur dont le personnage que l’on reconnaît toujours au travers, de livre en livre, de ses successifs déguisements, le narrateur, le « je » (puisqu’il s’agit bien sûr d’une autre « autofiction ») traîne un peu moins lugubrement sa carcasse vieillissante dans celles-ci qu’il ne le fit dans d’autres pages. Le sinistre lamento de bien des héros assez ordinaires à la Meursault de ses romans précédents a laissé place à une petite note d’espoir…

Bien évidemment, Soumission n’a absolument rien d’islamophobe. Il n’est même ni islamophobe ni islamophile, tout au contraire. La polémique orchestrée par la bobocratie pour discréditer ce roman ne l’est pas pour défendre des musulmans qui seraient stigmatisés ; c’est bien plus grave.

On le sait, les grandes questions qui, de roman en roman, interrogent Houellebecq – et malgré des déclarations dont on a fait jadis un ramdam disproportionné (comme quoi l’islam serait « la religion la plus con du monde », opinion sur laquelle il est à raison revenu) –, ces grandes interrogations houellebecquiennes ne sont ni les musulmans ni même Dieu en tant que tel ; ses obsessions, ce sont d’une part les rapports des hommes qui les désirent avec les femmes, d’autre part l’avenir de notre monde moderne. Or, il est inacceptable pour la bien-pensance que l’on puisse seulement envisager que ces femmes qui l’obsèdent ne soient pas à considérer comme des hommes mâles comme les autres. Or Houellebecq se permet de peindre une société où la gent féminine recouvre la place qu’elle a occupé pendant des millénaires de compagne – de soumise – à son homme ; pire, il commet le crime d’imaginer que nos sœurs s’en complaisent ! Si certains veulent que l’on châtie Michel, ce n’est pas pour avoir caricaturé Mahomet, c’est pour avoir écrit que le chômage sera jugulé en 2022 quand les femmes, ne travaillant plus dans le civil, seront renvoyées à leurs fourneaux (et même si c’est peu ou prou Bernard Friot, sociologue de gauche, qui l’inspire quand ce chercheur rappelait que le « plein-emploi » des Trente Glorieuses, c’est un plein-emploi dont les femmes, à la maison, sont exclues). Autre blasphème à notre doxa, osant rompre le mythe de l’androgyne, il met en scène la non-réciprocité de l’appartenance d’une femme à un homme unique ; c’est là son crime ultime, il ne condamne pas la polygamie !

C’est un monstre.

Toutes les belles âmes qui voueront aux gémonies ce livre et son auteur, c’est parce qu’il remet en cause le préjugé égalitariste entre l’homme et la femme. Attention ! il ne prend bien évidemment pas davantage que moi parti dans ce débat, il est coupable de le soulever. La liberté d’expression a des limites, n’est-ce pas ! on peut caricaturer Mahomet et insulter les croyants à loisir, mais il est interdit de discuter de la place à octroyer aux femmes qui doit être a minima celle que tiennent les hommes (tout au plus, des poètes du dimanche en mal d’inspiration pourront en faire « l’avenir de l’homme »), non ?

Le Michel de Plateforme errait avec lassitude d’orgasme en orgasme, celui des Particules élémentaires et Bruno s’arrimaient à leurs fantasmes de cons et de culs, le nouveau héros de la saga houellebecquienne commence de même par égrener des conquêtes rapides, pour l’hygiène dirait-on, corps féminins inhabités dont il persévère à ne jouir que physiquement. Au-delà, sa vie aux parents séparés avec lesquels il n’a plus de contact, sa vie est une intense solitude noyée par force alcool dans un Paris de célibataires vivant chacun chez soi ou sur Meetic leur petit hédonisme d’ « individualisme libéral ». Un monde de sans famille.

Et l’islam dans tout ça ?

Tout le monde a déjà ébruité la nouvelle option de l’avenir proposée dans ce roman-ci. Dans Les Particules, l’auteur envisageait un transhumanisme qui rendrait archéologique la société contemporaine ; dans Plateforme, l’amour-passion avide de jouissances infiniment réitérées expirait sous les balles de fanatiques musulmans ; dans Soumission, c’est à un musulman « modéré » que le pouvoir est donné par un genre de front républicain pour qu’il instaure en France une transcendance – outre divine – du patriarcat familial, réformant toute notre société, en premier lieu l’éducation, imposant l’ordre de l’homme qui travaille que sa (ou ses) femme sert.

2houellebecq
On dira que c’est parce qu’il vieillit et se rapproche du moment de passer de l’autre côté, dans ce livre, Houellebecq se pose la question de Dieu pour donner un sens à la vie dans de très belles pages où le maître de conférence licencié, dans la peau duquel il s’est caché, est intéressé à la conversion à l’islam par le nouveau président de l’université islamique de la Sorbonne. Très belles réflexions sur l’homme dans l’univers et l’éventuelle divinité ! Aura-t-il été convaincu de la vérité d’Allah ? ou par le poste qu’on lui rend ? ou plutôt par la promesse de fonder famille avec une à trois de ses jeunes étudiantes, toujours est-il qu’il prononce solennellement la chahada. Le fantôme de Huysmans – l’auteur magistral qui fit son À rebours et partit de l’athéisme avant de se faire moine – parcourt en prémonition ces pages. « Le XXIe siècle sera mystique ou ne sera pas », n’a-t-il pas été dit !

« Merde à celui qui le lira ! » a écrit une plumitive de bas étage : quel meilleur encouragement à la décevoir ?

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Protégé : Le Chevalier de la Charette

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Protégé : Gustave Téry

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Protégé : En réponse à un ami marieur-pour-tous

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Immigrés et classes populaires

La lecture du livre de Christophe Guilluy, Fractures françaises (François Bourin éditeur, Paris, 2010) est riche d’enseignements pour tous ceux qui observent avec inquiétude la constitution d’un nouvel ordre mondialiste oligarchique. Ce géographe qui garde espoir en la gauche – il avait écrit comme précédent ouvrage un Plaidoyer pour une gauche populaire – dénonce pourtant tous ses fonds de commerce : angélisme immigrationniste, mesures sociétales, rejet des classes populaires.

Il donne même implicitement raison à Éric Zemmour (dont on comprend combien il le chérit) contre les juges qui l’avaient condamné, et surtout contre ceux qui avaient fabriqué de toutes pièces son « dérapage » chez Ardison face à un moulin à paroles creuses, très jolie femme au demeurant. Il dénonce même la surreprésentation  des violences physiques dans les « quartiers sensibles », reconnaissant que « l’association délinquance/minorités ethniques s’impose de plus en plus » et rappelle que « contrairement à ce que laissent entendre les faux débats sur le sujet, la surdélinquance des populations issues de l’immigration, notamment jeunes, est une réalité bien connue ».

La France qu’il nous fait visiter n’est pas celle que Pujadas et Demorand nous montrent. Guilluy nous dépeint une véritable immigration de peuplement (qu’il appelle « familiale »), une « substitution de population », à laquelle il attribue une importante part de la vigueur démographique française. Il raconte comment les classes populaires françaises se sont enfuies des cités, non par racisme, mais face à l’insécurité que cette immigration faisait régner dans ces quartiers. Mais les milieux les plus défavorisés ne sont pas les banlieues des cailleras. Ce sont plutôt ces classes populaires « gauloises » qui se sont réunies dans le « périurbain », éloignées des centre des grandes villes où, dans les difficultés sociales, elles se retrouvent isolées de tout et même exclues des préoccupations des politiques.

Les villes, qui avaient été le lieu de résidence des classes populaires,  se retrouvent peuplées par les élites, les cadres supérieurs, les bobos… et les immigrés qu’ils exploitent tous à l’occasion pour leur ménage ou pour leurs restaurants. L’auteur moque l’hypocrisie de ces citadins français qui vilipendent le racisme des Dupont-Lajoie alors qu’ils sont aussi ceux « qui pratiquent le plus l’évitement » des populations étrangères. Toutes les sollicitudes vont alors en direction de ces seules cités dans lesquelles elles transitent, quand les départements les plus pauvres ne sont pas le 9-3 mais la Creuse ou la Mayenne. « La gauche sociétale et la droite libérale s’accordent dans une même volonté d’abandonner en douceur le modèle égalitaire républicain ».

La cause en est que la mondialisation, qui a permis cette immigration massive (« dans la logique de la mondialisation libérale, les individus doivent être mobiles, nomades » – on croirait entendre chanter l’Attali !), a profité à ces gens des classes moyennes et supérieures, quand elle a envoyé beaucoup de Français au chômage et les a repoussés loin des centres urbains devenus trop chers. Alors, tandis que « les métropoles mondialisées sont les territoires qui plébiscitent le plus la gouvernance européenne en attendant la gouvernance mondiale », il faut bien constater « la place exacte conférée aux couches populaires à l’heure de la mondialisation : celle de la périphérie ».

Voilà, entre mille autres constatations pertinentes (dont l’ethnicisation des questions sociales et des territoires, ou encore les revendications culturelles) , ce que j’ai retenu de cette lecture. Quant à cette autre France périurbaine qu’il décrit, invisible pourtant du sentencieux boboland, on la remarque parfois par son vote, quand, si l’on s’abstient de s’imaginer que les départements auraient un vote uniforme, on observe la carte où se sont opposés en mai les candidats de «la gauche sociétale et la droite libérale (qui) s’accordent dans une même volonté d’abandonner en douceur le modèle égalitaire républicain », c’est-à-dire les clones bleu et rose, Sarkozy et Hollande. La densité de la couleur y correspond à la proportion du vote pour l’une ou l’autre des faces de Sarkollande. Or le fond clair autour des villes denses (il ne s’agit pas de l’importance numérique du vote mais de son unilatéralisme ou au contraire de sa binarité) témoignerait bien que Christophe Guilluy a bien montré la vraie fracture française !

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La décadence

La décadence par Paul Jorion (anthropologue et sociologue, spécialisé dans les sciences cognitives et l’économie)

Hegel attribua la chute de l’empire romain à la prévalence des intérêts particuliers. Préoccupés de poursuivre essentiellement leur intérêts propres, les Romains se seraient désintéressés de la chose publique. L’avènement du christianisme aurait joué un rôle essentiel dans ce désintérêt croissant : en relation privée avec leur dieu – « Le royaume de Dieu est en vous » – les citoyens cessèrent de s’identifier au sort de leur Cité.

La guerre, dit Hegel, rappelle aux citoyens l’existence de l’État comme entité supérieure par rapport à laquelle leur vie s’organise dans un cadre plus large que celui de leurs préoccupations immédiates. Quand la guerre éclate, le bourgeois qui loge au cœur du citoyen se rend compte que seul, il ne pourra pas défendre les possessions dont il est propriétaire et auxquelles il tient par-dessus tout : c’est l’État seul qui pourra organiser la force collective qui permettra de défendre la propriété de chacun.

La décadence résulte de la perte de ce sentiment du bien commun comme seul capable d’assurer le bien individuel. La société civile, comme simple conjugaison d’intérêts particuliers est insuffisante à alimenter la flamme de ce sentiment.

La décadence a lieu de son propre mouvement quand l’individu fait prévaloir sa liberté immédiate par rapport au bonheur de la communauté dans son ensemble. Une idéologie existe qui place cette liberté immédiate au pinacle : l’ultralibéralisme sous ses formes diverses du libertarianisme, de l’anarcho-capitalisme, etc. Notre société contemporaine se singularise par le fait qu’une idéologie porteuse des principes de sa propre décadence s’est formulée explicitement en son sein, prône les valeurs qui la provoquent inéluctablement quand elles sont mises en œuvre, et applique son programme consciencieusement et systématiquement, quelle que soit la puissance des démentis que les faits lui apportent.

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