Avec Maria’s Lovers (les amants, les amoureux de Maria) de Konchalovsky, le titre du film est d’autant plus intéressant qu’il guide vers une piste peu intéressante. Niaisement, l’on peut se dire, en adoptant une morale bien à la mode dans un monde gouverné jusque dans les milieux conservateurs par le dogme desdites expériences sexuelles, que mieux vaut qu’une fille n’arrive pas vierge au mariage. Alors est-ce vrai ? faut-il faire comme les Yakut dont les frères ont le devoir de déflorer leurs sœurs avant les noces de celles-ci ? L’on peut en douter.
Un autre lecture, bien dans la doxa incestophobe occidentale qui fit interdire par l’Église les mariages jusqu’au 5e degré de parenté, qui faisait voir à Proudhon de l’inceste entre Paul et Virginie, qui jouit en preuve (qui n’en est une de rien) qu’il n’y ait eu que très peu d’unions entre les enfants élevés ensemble dans les mêmes kibboutz, Maria et son promis ne pourraient pas faire couple car ils ont trop grandi côte à côte. Cette impossibilité est de l’ordre du fantasme. C’est encore un fantasme de s’imaginer que Maria met trop la pression sur son époux quand elle lui enjoint dès l’étreinte avortée des noces de lui faire un enfant. Le but sain de tout mariage est de procréer des enfants et fonder une famille, Maria ne fait ici que rappeler l’impératif catégorique qui est dans la tête de tout époux mis dans les conditions du nouvel époux de Maria, ce qu’énonce Maria aurait tout aussi bien pu être décliné en voie intérieure dans la tête de l’époux dans une œuvre littéraire, ce que l’exposition scénique au cinéma ne permet pas (ou rend lourd dans des films qui y recourent beaucoup trop).
Non, il faut être plus intelligent et rejeter toute lecture morale qui ferait en soi de l’hymen un trésor ou une avanie, de même qu’il ne faut pas marcher dans l’incestophobie qui fait qualifier d’incestueux le rapport pédophile entre un homme politique du PS et le fils de sa femme et d’un autre homme alors que le pédéraste n’a bien évidemment aucun lien de consanguinité avec son éromène qui fasse de cette relation un inceste, de même qu’il n’est pas censé de croire que dans une société moderne non dysfonctionnelle l’on se marie pour une autre raison que faire des enfants.
Maria’s Lovers est un titre d’autant plus intéressant qu’il semble emmener sur ces fausses pistes le spectateur endoctriné aux idées courtes. L’on peut lire ce film tout autrement en corrigeant le titre en Maria’s Lover, l’homme qui aime Maria, l’homme qu’aime Maria. Lire le scénario de ce film comme celui d’un seul homme amoureux pour Maria, un homme qui a plusieurs visages. Le visage central est celui de celui qui va devenir l’époux de Maria (incarné par John Savage). Mais c’est aussi un peu le visage du père de ce futur époux (Robert Mitchum), père qui est loin d’être insensible au charme de sa future bru (Nastassja Kinski), elle-même troublée par ce père encore bel homme. C’est aussi le visage du jeune homme avec lequel Maria a flirté pendant que son futur époux était sous les drapeaux. Et puis c’est le visage de celui qui prend la virginité de Maria (Keith Karradine) qu’accessoirement il engrosse.
Les deux principaux visages de l’amoureux de Maria sont le premier, celui de son époux, et le dernier, celui qui consomme le mariage. Le premier se révèle incapable d’aimer charnellement son épouse. Le film insiste habillement sur le fait qu’il ne s’agit pas du tout d’une impuissance sexuelle de l’époux mais d’un blocage vis-à-vis de son épouse. En somme, l’époux a construit un amour si épuré pour son épouse que cela l’empêche de l’aimer physiquement. L’acte charnel n’est pas la résolution de l’amour sentimental, il en est la profanation. L’homme vraiment intensément et sincèrement amoureux de son amoureuse ne peut souiller son corps jusqu’à pratiquer le coït avec elle. Pour que cela puisse se faire, il faut qu’intervienne l’homme insouciant, le bohème chanteur vagabond qui ne prend rien au sérieux. Une fois la chose faite, une fois que le bohème a dépucelé son épouse, l’époux ne peut que casser la figure à ce bohème qui n’est qu’un autre visage de lui-même, lui qui a dégradé le temple sacré qu’il chérit, son aimée, aimée qui a désormais été suffisamment avilie pour qu’il puisse à son tour s’accoupler avec elle.
C’est un des problèmes majeurs de la société occidentale centrée sur le love que met le scénario de Konchalovsky en avant dans ce film. Cela a été remarqué par maints auteurs (Barthes a en a exposé la caricature). Il y a solution de continuité entre l’amour sentimental romantique et sa consommation sexuelle. En réalité, les deux sont à peu près incompatibles. Il n’est guère possible de combiner dans le même temps amour purement ataraxique et amour charnel. Les deux ne peuvent se dérouler qu’alternativement, le sentiment doit s’effacer pour que le sexe puisse prospérer. Quitte à ce que ce soit deux visages différents des Maria’s lovers qui aiment la jeune femme à tour de rôle.